Père du cognitivisme : biographie et contributions majeures

Un concept scientifique ne s’impose jamais sans résistance ni contestation, même lorsqu’il transforme durablement la compréhension de l’humain. L’émergence du cognitivisme, loin d’être linéaire, a été marquée par des débats vifs, des oppositions méthodologiques et des remises en question radicales des modèles antérieurs.

Derrière cette révolution intellectuelle, certains chercheurs se distinguent par des contributions qui continuent d’alimenter la réflexion contemporaine. Leurs travaux ont posé les bases d’une discipline aujourd’hui incontournable dans l’étude du développement et du fonctionnement mental.

Qui sont les figures incontournables du cognitivisme ?

La psychologie cognitive n’aurait jamais pris une telle envergure sans l’audace de quelques chercheurs qui ont su bousculer les cadres établis des sciences cognitives. Dès 1967, Ulric Neisser frappe fort : son ouvrage fondateur « Cognitive Psychology » propulse l’étude des processus mentaux sous les projecteurs. Il ne se contente pas de proposer une définition pointue de la cognition, il construit le cycle perceptif et invite à explorer empiriquement perception, mémoire et raisonnement.

Derrière ce nom, la discipline s’étoffe d’autres personnalités marquantes. Jean Piaget, psychologue suisse, pose dès les années 1920 les jalons de la psychologie du développement entre Genève, Lausanne et Paris. Ses stades du développement de l’intelligence restent une boussole pour les recherches sur l’apprentissage et l’émergence des connaissances. George Miller, lui, s’intéresse à la mémoire à court terme et, associé à Jerome Bruner, crée le premier centre de sciences cognitives à Harvard.

Pour comprendre l’étendue de l’influence du cognitivisme, il faut aussi citer des figures qui ont marqué de leur empreinte :

    Dans cette liste, vous retrouverez des noms qui ont profondément marqué l’histoire des sciences cognitives :

  • Noam Chomsky : il s’oppose frontalement au behaviorisme et bouleverse la linguistique grâce à la grammaire générative.
  • Herbert Simon et Allen Newell : ils ouvrent la voie aux modèles informatiques de la résolution de problèmes.
  • Jerry Fodor : il développe le concept de modularité de l’esprit et introduit la notion de « mentalais ».
  • Marvin Minsky : il imagine la société de l’esprit et renouvelle notre rapport à l’intelligence artificielle.

Le dialogue ininterrompu entre psychologie cognitive, sciences sociales et traitement de l’information a façonné une discipline en mouvement, à la frontière de la philosophie, de la linguistique et des neurosciences. À travers ces échanges, c’est une véritable cartographie de la pensée humaine qui se redessine à chaque avancée majeure.

Jean Piaget et Jerome Bruner : deux visions complémentaires du développement cognitif

Sorti de l’université de Neuchâtel, Jean Piaget laisse une trace profonde dans la psychologie du développement avec un travail foisonnant sur l’évolution de l’intelligence. Son approche constructiviste part d’un postulat simple : la connaissance ne s’infuse pas, elle se bâtit. Il distingue plusieurs stades du développement cognitif, sensori-moteur, préopératoire, opératoire concret, formel, qui traduisent chacun une manière spécifique d’appréhender le monde et de résoudre des problèmes. L’enfant ne cesse d’assimiler, d’accommoder, d’ajuster ses schèmes au fil de ses découvertes.

À Genève, puis à Lausanne et Paris, Piaget lance le Centre international d’épistémologie génétique. Entouré d’une équipe passionnée, il creuse l’apprentissage, la logique enfantine, la genèse du raisonnement. La construction de la connaissance devient alors l’un des axes structurants des sciences cognitives.

De l’autre côté de l’Atlantique, Jerome Bruner prend le relais à Harvard en co-fondant avec George Miller le premier centre de sciences cognitives. Sa perspective, à la fois fidèle et divergente, insiste sur l’influence de la culture, du langage et du tissu social dans l’apprentissage. Bruner introduit le concept d’étayage (« scaffolding »), qui met en lumière le rôle actif de l’adulte auprès de l’enfant dans la zone proximale de développement. L’accompagnement sur-mesure devient un moteur du progrès, au-delà de la maturation individuelle.

Piaget et Bruner, l’un ancré dans la biologie et la logique, l’autre attentif à la dimension culturelle et sociale, incarnent deux approches complémentaires : toutes deux éclairent le cheminement de la pensée, de la symbolisation à l’organisation des savoirs.

Comment leurs théories ont révolutionné la compréhension de l’apprentissage chez l’enfant

Dans les années 1960, la psychologie cognitive prend le contrepied du behaviorisme. L’apprentissage ne se réduit plus à une mécanique de stimulus-réponse : il devient un ensemble de processus internes où le traitement de l’information, la mémoire et l’attention occupent le devant de la scène. Avec Jean Piaget et Jerome Bruner, le cognitivisme place l’enfant au centre : il n’est plus simple récepteur, il devient acteur de sa propre progression intellectuelle.

Pour Piaget, la genèse de l’intelligence repose sur deux forces en tension : assimilation et accommodation. L’enfant façonne ses schèmes mentaux à partir des situations qu’il vit. Cette dynamique inspire une pédagogie active basée sur la manipulation, l’expérimentation, la découverte. Bruner, de son côté, souligne l’importance du contexte social et du langage. Sa notion d’étayage fait ressortir combien le dialogue, l’accompagnement et la culture pèsent dans l’apprentissage.

Le constructivisme déborde largement le champ scolaire. Ses principes irriguent les sciences cognitives, la neuropsychologie, la recherche en éducation. Ils invitent à repenser les méthodes pédagogiques, à encourager autonomie, logique, et découverte progressive. La cognition s’apparente à une exploration dans un univers symbolique, où chaque expérience nourrit la construction de nouvelles connaissances.

Professeure devant tableau de théories cognitives

Les concepts clés à retenir pour explorer la psychologie cognitive aujourd’hui

Pour approcher la psychologie cognitive dans sa richesse, il faut s’approprier un vocabulaire précis à la croisée des sciences cognitives et des neurosciences. Plusieurs notions structurent ce domaine. Le traitement de l’information, hérité de la cybernétique et formalisé notamment par Claude Shannon et Norbert Wiener, suggère que la cognition se déploie comme une succession d’opérations complexes : perception, mémoire, raisonnement, prise de décision.

    Voici quelques concepts phares qui balisent l’exploration du champ cognitiviste :

  • Connexionnisme : la cognition s’explique à travers des réseaux de neurones formels, une approche inspirée par Warren McCulloch et Walter Pitts, qui influence aujourd’hui l’intelligence artificielle.
  • Constructivisme : la connaissance se forge activement, principe que Jean Piaget place au cœur de ses travaux sur l’intelligence.
  • Modularité de l’esprit : selon Jerry Fodor, l’esprit humain est constitué de modules spécialisés, chacun dédié à des fonctions spécifiques.
  • Émergence : dans les systèmes complexes, des propriétés inédites apparaissent, dépassant la simple addition des éléments. Cette idée irrigue la réflexion sur l’auto-organisation.

Aujourd’hui, la mémoire est envisagée comme un processus dynamique de reconstruction, bien loin d’un simple stockage. George Miller a montré ses limites célèbres, le fameux « 7 ± 2 ». La perception est aussi une activité de construction du réel, pas un enregistrement passif. Les neurosciences cognitives, avec Marc Jeannerod ou Jean-Pierre Changeux, explorent les fondements neuronaux de ces fonctions. Les modèles de la machine de Turing et l’architecture von Neumann offrent des outils pour penser la calculabilité et l’intelligence artificielle, tandis que la cybernétique éclaire la compréhension des mécanismes de feedback et d’autorégulation.

Le cognitivisme, loin d’avoir dit son dernier mot, continue de questionner notre façon de concevoir l’esprit, l’apprentissage, la mémoire et l’intelligence. À chaque avancée, il trace des chemins neufs sur la carte mouvante de la connaissance humaine.

Les immanquables